OpenArdenneMap: Interview d’OpenCage

OpenCage est une société européenne qui propose des services de géocodage (convertir une adresse en localisation, et vice-versa), mais c’est aussi une des sociétés les actives dans le support et la promotion d’OpenStreetMap. J’ai répondu à leur demande d’interview, qui est sortie ici en anglais mais que je met ici en français.

1. Who are you and what do you do? What got you into OpenStreetMap?
Je travaille dans le domaine de la géomatique et contribue à OpenStreetMap depuis de nombreuses années. J’ai commencé à contribuer à OpenStreetMap en 2012. Puis j’y ai contribué de plus en plus. En 2017, j’ai rejoint la société coopérative Champs-Libres, où je travaille, parce que c’était la seule société qui travaillait avec les données OpenStreetMap en Belgique. Donc on peut dire que j’ai trouvé mon boulot grâce à OpenStreetMap.

J’ai un intérêt pour la cartographie depuis toujours. Après mes études, j’ai commencé à m’intéresser à des logiciels permettant de faire des cartes sur le web, à l’époque MapServer et OpenLayers 1, en 2007… Mon but était de faire des cartes, surtout sur le web, pour montrer des choses qui n’étaient pas très visibles. Ainsi, j’ai fait une carte des potagers communautaires à Bruxelles en 2010. Puis j’ai lentement vu la montée d’OpenStreetMap. Mais au début, je n’y croyais pas: la carte était principalement vide et avec une mauvaise précision, je ne pensais pas qu’OpenStreetMap serait un jour assez mature pour faire de belles cartes. J’avais tort.

Aujourd’hui je contribue activement à OpenStreetMap et je suis aussi membre de l’ASBL OpenStreetMap – Belgique. Je rencontre souvent d’autres contributeurs en Belgique, on forme une super-communauté: des gens ouverts, passionnés et sans prise de tête! Je co-organise régulièrement des rencontres OpenStreetMap dans ma région et je fais du lobbying pour OpenStreetMap un peu partout!


2. What is the OpenArdenneMap project and why was it created? Who uses it? How?
Quand j’ai commencé à contribuer à OpenStreetMap, assez rapidement j’ai voulu générer des cartes topographiques. J’ai d’abord vu le projet OpenTopoMap, puis un projet visant à reproduire les cartes de l’institut géographique national en France. Au début, mon challenge était de pouvoir réaliser des cartes ressemblant à celles de l’institut géographique national belge. C’était avant tout un challenge technique pour moi, comme je commençais seulement à apprendre à coder. J’ai longtemps chercher quel pouvait être le meilleur logiciel pour cela. J’ai d’abord essayé avec MapServer, que je connaissais. Puis je suis passé au logiciel Mapnik, qui est le logiciel cartographique utilisé pour générer le style de base disponible sur openstreetmap.org et sur des tas d’autres projets cartographiques, dont OpenTopoMap. Très récemment, en 2022, j’ai traduit le style OpenArdenneMap en QGIS.
Aujourd’hui, OpenArdenneMap est un style cartographique utilisable avec Mapnik ou QGIS, les 2 étant maintenus en parallèle sans être 100% équivalent. OpenArdenneMap est un style destiné à l’impression, et non pas pour des cartes web. La principale différence d’un style de carte à imprimer avec des cartes web est que les labels sont environ 2 fois plus grands que sur une carte web, mais il y a d’autres subtilités, comme le choix des couleurs, le contraste, … J’utilise ce style avec mes collègues pour générer des cartes à télécharger sur le site hiking.osm.be. Ces cartes sont proposées librement au téléchargement et une contribution financière est demandée à ceux qui l’utilisent. Il y a un bon potentiel commercial avec ce projet hiking.osm.be, càd de distribuer des cartes imprimées dans divers endroits touristiques, mais on n’a pas encore pris le temps de développer cette offre.
Sinon, j’ai découvert que le style a déjà été utilisé par des opérateurs touristiques en Belgique pour imprimer des cartes sur des panneaux touristiques. Enfin, je l’utilise de temps en temps pour créer des cartes grand-format pour des amis ou la famille, ou juste pour moi comme une grande carte de la Semois de 2 sur 1m. Et il y a aussi un serveur de tuiles OpenArdenneMap, même si le style est avant tout destiné pour l’impression, pas pour le web.

3. What are the unique challenges and pleasures of mapping hiking maps, especially those designed to be printed? What aspects of the projects should the rest of the world be aware of?
Il y a d’énormes challenges à réaliser des cartes destinées à l’impression à partir de données OpenStreetMap, et je pense que beaucoup d’entre eux n’ont pas encore été abordés à l’heure actuelle. Quand vous regardez à d’anciennes cartes topographiques, elles sont généralement d’une grande qualité graphique et elles ont une une grande force esthétique. Pour moi, les cartes topographiques générées à partir de données géographiques n’ont pas la même puissance, pour toutes sortes de raisons.
Clairement, il y a eu une rupture quand les cartographes ont créé des cartes à partir de données géographiques au lieu de les dessiner sur du papier. Il y a une dizaine d’années, j’ai appris que les cartographes de l’IGN belge ne digitalisaient pas nécessairement les éléments sur des images aériennes selon leur localisation exacte mais selon “un bon sens cartographique”: cela signifie qu’ils prenaient certaines libertés avec la position de certains éléments, pour d’emblée penser à la création de la carte.
Dans OpenStreetMap, il y a ce fameux principe: “Don’t map for the renderer”. Bien sûr je le comprends, mais si on veut faire de la cartographie, on veut justement cartographier pour un beau rendu. Mon leitmotif pour le futur d’OpenArdenneMap est justement celui-là: trouver des techniques pour passer d’une base de données géographiques à une carte imprimée. Cela implique des tas de techniques qui sont très peu mobilisées dans la communauté OpenStreetMap actuellement: généralisation cartographique, déplacement, …, bref, toutes les techniques cartographiques qui ont été théorisées et mises en pratiques tout au long du développement de la cartographie.
En ce sens, je rejoins l’analyse de Christophe Hormann: même si le style “carto” est un fabuleux travail de cartographie et probablement le plus avancé style cartographique construit à partir des données d’OpenStreetMap, il est encore très loin des meilleures pratiques de cartographie. Et c’est valable pour tous les styles dérivés d’OpenStreetMap avec Mapnik ou QGIS, ils ne parviennent pas à réaliser des cartes topographiques de grande qualité. Bien sûr, on pourra arguer qu’il faut toujours une passe manuelle pour peaufiner une carte faite avec un style automatique, et c’est probablement toujours vrai, même à l’heure de l’intelligence artificielle. Mais à part cela, il manque clairement des bases de travail cartographique qui ne sont toujours pas appliqués dans les styles, ni même implémentés dans des algorithmes. C’est un projet à long terme que j’aimerais d’ailleurs mener: une revue de l’utilisation des techniques de cartographies avancées dans l’écosystème OpenStreetMap.
Pour revenir à OpenArdenneMap, comme son nom l’indique, il est destiné à une région en particulier: l’Ardenne. Un ami m’a une fois demandé de lui sortir une carte de Bretagne avec OpenArdenneMap puis il s’est plaint que la mer n’apparaissait pas. Normal, il n’y a pas de mer en Ardenne. Loin de tout chauvinisme ou nationalisme, l’idée est de faire un rendu propre à une région, avec ses caractéristiques, ses objets particuliers, et bien sûr cela peut évoluer dans le temps. Par exemple, il y a un rendu spécifique dans OpenArdenneMap pour les plantations de sapins de Noël, parce que celles-ci couvrent une surface importante en Ardenne, peut-être 10% de la surface agricole. Mais c’est récent, il est possible que dans quelques dizaines d’années, il n’y en ai plus.
Un désavantage des cartes web actuelles est qu’on assiste à une uniformisation des styles, avec des styles qui peuvent être designés pour un environnement californien puis appliqué en Europe: cela n’a pas de sens. Chaque région a sa richesse géographique, fruit de l’évolution des des paysages naturels habités par les communautés humaines qui y ont vécus. Et donc chaque région a droit à ses propres styles, qui mettent en valeur ses caractéristiques.

4. What have you learned? What is the best way for people to do something similar in their city or region or country?
J’essaye de collectionner des cartes de ma région et d’ailleurs, et de les comparer. Cela me donne des idées pour développer de nouvelles choses dans mon style cartographique. OpenArdenneMap est un style plutôt “retro” mais j’aime aussi ajouter des éléments plus récents du paysage, comme des éoliennes. Je ne le fais pas assez, mais j’essaye de suivre aussi ce qui se fait dans d’autres projets de cartographie comme OpenTopoMap ou le style “carto” d’osm.org. Par exemple, j’ai repris l’idée d’orienter des libellés de noms de plans d’eau suivant la forme du plan d’eau, de manière automatique. Ou d’orienter les terrains de sport et les symboles des églises selon leur orientation réelle sur le terrain.
Un style cartographique touche à beaucoup de choses: par exemple on peut passer du temps à choisir des fontes adaptées. Pour OpenArdenneMap, j’ai choisi une fonte faite en Belgique via un magazine, Medor.coop, et puis j’ai finalement rencontré son concepteur, qui est aussi amateur de cartographie. C’est la fonte Alfphabet, qui reproduit une fonte utilisée dans les années 1950. Dans OpenArdenneMap, j’essaye d’afficher pas mal de libellés, donc la fonte est importante.
J’aime aussi dessiner les symboles et les symboles des patterns. Je ne suis pas très bon pour dessiner en général, et je ne me vois pas créer des logos, mais pour des symboles cartographique, je trouve cela assez facile.
Enfin il y a l’impression. C’est tout un art aussi! J’ai appris la différence entre l’impression _offset_ et digitale. Les cartes anciennes étaient souvent imprimées en _offset_ avec des vraies couleurs: cela augmente leur qualité. C’est une raison pour laquelle OpenArdenneMap n’a que 3 couleurs + le noir: cela permet une impression _offset_ avec des vraies couleurs.
Pour celles et ceux qui veulent commencer un style cartographique, je conseille de partir d’un style existant (sous Mapnik ou QGIS) puis de changer progressivement les couleurs, les textures, ce qu’on affiche et ce qu’on n’affiche pas, … Si vous voulez définir un style disponible pour plusieurs échelles, partir d’une page blanche prend énormément de temps.

5. What steps could the global OpenStreetMap community take to help support projects like this?

J’adore voir des nouveaux projets cartographiques voir le jour. Et il faut certainement encore maintenir des anciens, en tout cas il y a du potentiel d’amélioration même dans des styles anciens. Comme dit plus haut, il manque des techniques et des algorithmes qui permettent de faire de la généralisation cartographique, précisément avec les données OpenStreetMap. Un challenge des données OpenStreetMap est leur manque de complétude et d’uniformité: parfois, on doit refuser de représenter quelque chose sur une carte si cette chose n’est pas cartographiée partout. Par exemple, je ne vais pas représenter des arbres isolés si la distribution de ceux-ci dans mon emprise de carte est trop irrégulière. Mais pour ce genre de problèmes, c’est plutôt au cartographe de trouver ou développer des algorithmes de préparation des données, de généralisation cartographique.
Je pense qu’il y a un manque de documentation des projets cartographiques existants. En même temps, on manque sans doute de recul sur la création de cartes avec OpenStreetMap.

6. Last year OpenStreetMap celebrated 20 years. As someone who has been very active in OpenStreetMap for a long time, where do you think the project will be in another 20 years?

Je suis certain que le projet sera encore là, avec sa communauté. Il y aura peut-être des difficultés à recruter de nouveaux contributeurs, mais je n’en suis pas si sûr. Déjà aujourd’hui, la plupart des gens utilisent OpenStreetMap sans le savoir, parce que les données OSM sont intégrées dans des tas d’applications différentes. Cela va certainement s’amplifier à l’avenir. Peut-être que des pans entiers de l’utilisation d’OSM seront supplantés par d’autres bases de données, par exemple pour le réseau routier, les adresses ou les POIs. Mais le projet sera toujours là pour les amateurs de cartographie. Il pourrait être davantage réservé aux hobbyistes.
En Belgique, nous sommes de plus en plus sollicités par des pouvoirs publics qui sont intéressé à contribuer à OpenStreetMap, par exemple par des communes qui nous signalent des changements dans le réseau routier. On essaye aussi que les pouvoirs publics réutilisent les données, et il y a de plus en plus de cas. Je suis certain que cela va encore se développer en Belgique.

OpenArdenneMap hiver 24-25

Note: There is an English version of this post on https://www.osm.org/user/juminet/diary.

Depuis fin 2019, le style cartographique OpenArdenneMap est mis à jour suivant un cycle semestriel de livraison de temps en temps. OpenArdenneMap est un style cartographique open-source pour des cartes topographiques sur base des données OpenStreetMap. La livraison “hiver 2024-25” vient de sortir.

OpenArdenneMap paysage d'hiver

C’est surtout des petites améliorations dans le style QGIS qui ont été apportées. OpenArdenneMap est en effet disponible pour Mapnik (programme servant principalement à faire des serveurs de tuiles) et QGIS (programme plus généraliste de cartographie).

En particulier, il y a eu l’ajout de la couche “marked trails” (circuit balisés) qui manquait encore dans le style QGIS. Pour ajouter la balise sur la carte (l’équivalent du _shield_ dans Mapnik), on utilise une combinaison de 2 “Marker Line”, avec la superposition d’un marker SVG (SVG Marker) pour la balise et d’un caractère (Font Marker) pour le chiffre souvent inscrit dans la balise.

Il y a aussi l’ajout d’un layout dans le fichier de projet QGIS, ce qui a permis de réactualiser une première carte sur hiking.osm.be, pour la carte d’Herbeumont.

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A comparer, la version faite avec Mapnik il y a quelques années, et celle-ci faite avec QGIS.

Bientôt encore plus de cartes sur https://hiking.osm.be/ !